mardi 24 septembre 2019

Une cerise verte sur le gâteau de la mobilité





Faut-il acheter une voiture électrique ? En voilà une belle préoccupation de consommateur soucieux de consommer au mieux. On est en 2019, on ne peut plus fumer dans les restaurants depuis longtemps, ni dans les voitures en présence d'enfants, mais on peut encore enfumer joyeusement les cyclistes, les piétons et soi-même, puisqu'il ne faut pas croire que l'on est protégé des particules fines, oxydes d'azotes et autres brols dans l'habitacle de son SUV(1).  Alors, entre un plan black-out et le report de la mise hors service d'une centrale nucléaire fissurée, on décrète l'interdiction progressive des véhicules thermiques et on nous pousse à passer à l'électrique, en Wallonie (2) comme ailleurs en Europe (3). 

S'il est vrai que les chiffres relatifs aux décès causés par la pollution de l'air sur la santé (500.000 personnes chaque année en Europe !) font froid dans le dos, le raccourci qui consiste à imposer la voiture électrique et à interdire la voiture thermique est plus que douteux.

La voiture est un bouc émissaire tout trouvé : excellente excuse pour fabriquer de nouveaux véhicules, et taxer autant les nouveaux (via les taxes à l'immatriculation) que les anciens (via des pénalités). Comme si produire un véhicule n'était pas polluant et gourmand en ressources, ce qu'est particulièrement la production d'un véhicule électrique (deux fois plus émettrice de CO2 que la fabrication d'un véhicule thermique(4)). On oublie que certaines personnes roulent très peu (à peine quelques milliers de kilomètres par an) et que le recyclage de leur véhicule thermique et la production d'un nouveau sera bien pire que si ils avaient gardé leur ancien véhicule quelques années encore en roulant peu. Sous couvert d'écologie, on fait tourner l'économie.

Nous voici complétement égarés entre intérêts économiques et sanitaires. Quels sont ces polluants qui tuent en Europe ? Principalement les particules fines, qui provoquent tout de même des problèmes cardiaques, respiratoires et des maladies du cerveau (Alzheimer, Parkinson,...). Cependant, l'automobile n'en est pas la principale émettrice (5), et il conviendrait de prendre également des mesures contraignantes pour l'industrie, le reste du transport, la production d'énergie et l'agriculture si l'on voulait vraiment purifier la qualité de notre air et ainsi sauver des vies. Il en va de même pour les oxydes d'azote, qui ont également des effets néfastes pour la santé et sur l'environnement (problèmes respiratoires, pluies acides,...) et qui sont bien trop présents dans l'air dans nos villes.

Mais plutôt que de simplement changer de véhicule, ne serait-il pas bien plus efficace de changer de système, d'arrêter de gaspiller en permanence et pour tout ? Nous travaillons loin de nos domiciles, nous achetons de la nourriture et des marchandises qui viennent de l'autre bout du monde et qui parfois ont fait plusieurs continents avant d'arriver à nous (de la crevette envoyée en Afrique pour être épluchée au smartphone fabriqué en Asie et emballé en Amérique). Nous surproduisons pour finalement jeter énormément. Nous déplaçons 1500 kg de tôle et de plastique pour déplacer 70 kg de chair alors que nous avons un réseau dense et abordable (bien que certes perfectible, mais là aussi c'est une question de volonté politique !) de transports en commun. Nous voulons sans cesse du neuf pas cher car fabriqué dans des pays pauvres alors que le marché de seconde main regorge de vêtements, jouets et autres objets pas chers et en bon état. Nous voulons partir vite et loin en vacances en avion alors qu'il y a plein de coins magnifiques à portée de voiture, ou même de vélo. Nous avons peur des autres, de leur parler, de les rencontrer alors que nous pourrions discuter ensemble le temps d'un voyage en train ou en covoiturage. Même nos déchets, nous les envoyons sur d'autres continents, via des bateaux très lourds bien polluants, pour des résultats environnementaux et sociaux catastrophiques comme les décharges électroniques du Ghana(6).

Nous avons tellement de choses à changer, une telle marge de progression et nous nous fixons sur des détails comme la voiture électrique. C'est une cerise sur le gâteau de la mobilité durable : 
  1. supprimer les transports superflus en favorisant l'économie locale ;
  2. favoriser le télétravail et la décentralisation des lieux de travail afin de permettre à tous d'éviter d'importants trajets domicile-travail qui n'ont aucune plus-value ;
  3. quand le transport est inévitable, l'optimiser en organisant le covoiturage, en favorisant les transports en commun et la mobilité douce (vélo, marche,...).
  4. combiner les trajets intelligemment (comme pour le covoiturage, la technologie peut être une alliée précieuse à ce niveau).
Arrive alors cette cerise… qui n'est pas tout à fait mûre ! En effet, si la voiture électrique a pour elle le fait de ne rien émettre comme polluant là où elle roule et d'émettre moins de CO2 qu'une thermique sur l'ensemble de son cycle de vie, deux qualités qui sont loin d'être négligeables, elle doit cependant encore essuyer quelques plâtres(7) :
  • l'extraction des métaux rares comme le lithium, qui se fait très loin de chez nous (Chine, Congo,...) et dans des circonstances désastreuses, tant sur le plan social (travail des enfants, exploitation liées à des conflits,...) qu'environnementales (rivières asséchées, sols détruits, impacts sur la faune et la flore) ;
  • l'origine de l'électricité et la pollution liée si elle n'est pas verte (ce qui est généralement le cas, on est surtout sur du nucléaire en France et en Belgique) ;
  • la menace des pénuries d'électricité brandie chaque hiver dans le contexte de sortie du nucléaire ;
  • la problématique du recyclage des batteries, qui est loin d'être prouvé.
Gageons que ces soucis seront évités avec son développement, via par exemple :
  •  des organismes indépendants qui certifieraient la filiaire de production et de recyclage comme le fait Fairphone pour les métaux de ses smarphones(8) ;
  • des lois qui favoriseraient d'avantage l'énergie verte et mettraient en place leur généralisation progressive (et en attendant une réflexion… éclairée sur le nucléaire qui malgré tout n'émet pas de CO2 ni de particules fines) ;
  • des progrès technologiques en cours et à venir qui permettraient de se passer de métaux rares et très lointains comme le lithium pour les remplacer par des matières plus usuelles et locales.
Donc oui, la voiture électrique peut constituer un progrès… mais ce n'est qu'une cerise, commençons par le gâteau !